La santé mentale des travailleurs en Afrique reste un sujet souvent mal compris et stigmatisé. Les employés se montrent réticents à aborder les raisons psychologiques lors de demandes de congés, de peur de nuire à leur carrière. Cependant, la santé mentale affecte directement la productivité et peut entraîner des pertes financières importantes pour les entreprises.
OMS : Constat de la santé mentale au travail en Afrique
Être en bonne santé ne se résume pas simplement à l’absence de maladie ou d’handicap. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme un état de bien-être total, tant physique que mental et social. L’équilibre psychologique revêt une importance croissante dans notre société, particulièrement en raison de son influence sur la productivité professionnelle.
Selon un expert au bureau pays de l’OMS, Dr Ambroise Ané, 300 millions de personnes souffraient de dépression mentale avant 2019. La situation s’est aggravée avec la pandémie de COVID-19 et ses impacts économiques. À l’échelle mondiale, la dépression et l’anxiété entraînent chaque année la perte de 12 milliards de jours de travail, représentant une perte économique évaluée à 1 000 milliards USD par an.
Forte stigmatisation en Afrique
L’Afrique connaît la plus forte stigmatisation des personnes ayant des problèmes de santé mentale au monde. En 2022, le continent enregistre 11 cas de suicides pour 100 000 habitants, dépassant la moyenne mondiale de neuf cas sur un échantillon identique. Ce phénomène est répandu en Afrique, en grande partie à cause du manque de professionnels de santé spécialisés. En moyenne, l’Afrique compte un seul psychiatre pour 500 000 habitants, soit 100 fois inférieur aux normes internationales.
Lacune d’investissements pour la prévention
Florence Baingana, conseillère régionale pour la santé mentale et la toxicomanie à l’OMS, préconise une augmentation significative des financements dans les programmes de prévention des troubles mentaux. Malheureusement, les ressources financières sont limitées.
Les bailleurs de fonds privilégient les maladies infectieuses et mortelles telles que le paludisme, le sida, la rougeole et récemment la COVID-19. À l’exception de certains programmes de lutte contre la toxicomanie, peu de partenaires internationaux disposent de fonds spécifiquement alloués aux troubles psychiatriques.
L’environnement de l’entreprise affecte la productivité
Le monde professionnel présente des défis constants, des délais d’exécution restreints et des attentes élevées. Malheureusement, ces facteurs affectent souvent la santé mentale des employés. Le stress, l’anxiété et la dépression sont devenus courants. Cependant, le stigmate entourant la santé mentale complique la reconnaissance de ces problèmes au travail.
Les conditions de travail en Afrique sont généralement défavorables sur les plans physique, environnemental, organisationnel, social et psychologique. Les charges de travail lourdes, les comportements négatifs, l’insécurité de l’emploi, l’intimidation et la violence sont fréquemment cités. Par ailleurs, le manque de communication efficace, d’empathie, des horaires de travail rigides sont autant d’éléments pouvant nuire à l’efficacité des employés.
Importance de la compréhension et de l’empathie
Contrairement aux congés traditionnels, les absences liées à des problèmes de santé mentale sont habituellement perçues avec stigmatisation et incompréhension. Les travailleurs craignent le jugement et la répercussion sur leur carrière, ce qui les dissuade de solliciter l’aide nécessaire. Malheureusement, le soutien de la hiérarchie n’est pas toujours présent dans de tels cas, ce qui rend difficile la prise de congé pour surmenage ou dépression.
Le processus de demande de congé pour des raisons de santé mentale est généralement complexe et décourageant. Les employés se sentent obligés de justifier leur besoin de repos, aggravant leur détresse. Les remarques minimisant la gravité de leurs problèmes accentuent ce malaise et créent une pression supplémentaire pour revenir au travail rapidement et être plus productif.
Ce tabou autour de la santé mentale impacte directement sur la productivité et le bien-être du personnel. Cet état entraîne une détérioration de leur performance et une augmentation des congés maladie prolongés. Par ricochet, ce phénomène, s’il n’est pas traité efficacement, peut impacter le taux de chômage en Afrique. Pourtant, créer un environnement où la santé mentale est abordée ouvertement et sur lequel le soutien est offert sans suspicion favorise un climat de travail plus sain et plus productif pour tous.
Promotion de la santé mentale : Initiatives gouvernementales
Plusieurs gouvernements africains entreprennent des initiatives pour améliorer la santé mentale au travail. Certains ont lancé des programmes de sensibilisation pour mieux appréhender les maladies mentales et promouvoir des environnements de travail sains. D’autres initiatives gouvernementales portent sur la révision des législations du travail pour intégrer des mesures de protection. À titre d’exemple, en Côte d’Ivoire, une évaluation du cadre juridique concernant la santé mentale au travail est menée afin de sensibiliser les travailleurs et les employeurs à cette question.
Selon une experte du PNUD, Prisca Brou, le Système des Nations Unies a pris des mesures pour réduire le stress au travail. Parmi celles-ci, la mise en place d’un médiateur, la flexibilité des horaires et le télétravail. En outre, face à aux faibles ressources attribuées dans ce domaine, certains pays augmentent leur investissement dans les services liés au bien-être des salariés. Cependant, le budget moyen alloué par les gouvernements africains à la santé mentale reste insuffisant. Il reste encore du chemin à parcourir pour garantir des environnements de travail sains et productifs pour tous les travailleurs africains.