Au-delà de son aspect socio-culturel, la culture du riz joue un rôle géopolitique crucial, similaire à celui du blé. Bien qu’étant l’aliment de base de nombreux africains, le volume d’importations de riz est largement supérieur à la production locale. En effet, le Bénin, le Togo, la Guinée et le Burkina Faso dépendent à plus de 80 % des importations de riz en provenance d’Inde.
Contexte de la limitation d’exportation du riz par l’Inde
L’Inde occupe la deuxième place mondiale en termes de production de riz, générant environ 121 millions de tonnes de paddy annuellement. Depuis 2019, ce pays maintient son statut de leader dans le commerce mondial du riz, représentant 40 % des exportations. Cette performance remarquable se traduit par une moyenne de 45 millions de tonnes (Mt) de riz exportés par an.
L’Afrique importe en moyenne 18 Mt de riz indien, dont 16 Mt sont acheminées vers la région subsaharienne. En 2022, l’Afrique a dépensé 3,9 milliards USD dans l’importation de 11 Mt de riz blanchi indien. Ce volume ne représente que près de 27 % de la consommation totale de cette denrée essentielle sur le continent africain.
L’Inde régule l’exportation de riz non basmati
Selon le ministère de la Consommation et de l’Alimentation, les exportations indiennes de riz non basmati connaissent une hausse significative de 35 % au deuxième trimestre 2023. Cette augmentation de la demande extérieure résulte de la suspension de l’accord céréalier en mer Noire et du dérèglement climatique. Le cours du riz atteint un sommet inégalé depuis près de 15 ans. Pour alléger les pressions sur les prix sur le marché intérieur, le Gouvernement indien a restreint ses exportations en interdisant celles de riz non basmati.
En suivant le principe fondamental de l’offre et de la demande, la restriction des exportations conduit à une offre excédentaire sur le marché intérieur. Si le riz présente une élasticité suffisamment faible, cela devrait entraîner une diminution des prix. L’Inde a déjà mis en œuvre cette stratégie en réponse à la crise des subprimes en 2010-2011. Cette approche s’est révélée efficace pour atténuer la hausse des prix sur le marché intérieur. Il est cependant important de souligner que, à cette époque, les exportations étaient considérablement inférieures. Ainsi, les conséquences sur la scène internationale diffèrent de celles observées actuellement.
La décision de l’Autorité indien impacte un quart des expéditions totales de riz du pays. Cette régulation concerne plusieurs catégories de riz demandées sur le marché international, à l’exception du riz basmati qui demeure exempt de toute interdiction. Cette catégorie, représentant la majeure partie des exportations indiennes de riz, offre aux agriculteurs la possibilité de maintenir des prix attractifs sur le marché mondial.
Conséquences pour les pays africains importateurs de riz indien
En règle générale, les interdictions d’exportation de riz engendrent des conséquences peu favorables, tant à moyen terme pour les communautés locales qu’à l’échelle internationale. Ces restrictions exercent une pression à la hausse sur les prix du marché mondial, suscitant ainsi des préoccupations quant à l’insécurité alimentaire de millions d’africains.
Par ailleurs, le responsable d’une agence des Nations unies souligne que cette restriction accroît le risque d’instabilité politique en Afrique. Lors d’une entrevue à New York le 21 septembre, Alvaro Lario, dirigeant du Fonds international de développement agricole, met en garde contre le risque d’agitations liées à la pénurie de riz en Afrique. La régulation actuelle évoque les souvenirs de la crise mondiale du riz en 2008. À l’époque, le Vietnam et l’Inde avaient restreint leurs exportations, mettant ainsi en péril la sécurité alimentaire de 100 millions de personnes , principalement en Afrique subsaharienne. Saluons toutefois la décision du gouvernement indien de lever partiellement cette interdiction envers 5 pays africains dont Madagascar en début d’année 2024 pour le riz non basmati.
Pénurie de riz indien fait peser un risque sur l’Afrique de l’Ouest
Le riz représente l’une des principales sources alimentaire en Afrique de l’Ouest et à Madagascar. La disparité entre le rendement limité de la filière rizicole et la demande locale constitue la principale raison de la dépendance à l’importation de riz indien. Une éventuelle pénurie de riz aggraverait l’insécurité alimentaire dans les pays de l’Ouest et à Madagascar, pouvant même déclencher des émeutes liées à la faim.
La restriction des exportations de riz non basmati affecte environ 20 % des importations totales de riz en provenance d’Inde. Cette proportion représente une diminution d’environ 3,2 Mt de riz pour l’Afrique subsaharienne. La diminution du volume d’importation pourrait entraîner une augmentation potentielle du prix du riz, accentuant ainsi la pauvreté et les inégalités sociales.
Par ailleurs, la croissance démographique, l’urbanisation et les évolutions des préférences des consommateurs contribuent continuellement à la hausse de la demande. Cela conduit ainsi à une crise potentielle du riz. De plus, la demande locale connaît déjà une augmentation annuelle de 6 %, dépassant la croissance de toute autre denrée alimentaire sur le continent. Cette conjonction de facteurs souligne la nécessité urgente de solutions durables pour garantir la sécurité alimentaire et atténuer les risques potentiels liés à la pénurie de riz.
Stratégies d’adaptation des pays africains face à la pénurie
Face à la restriction des exportations de riz brisé et de riz blanc non-basmati en Inde, les nations africaines doivent trouver des alternatives pour combler cette lacune. Cependant, une taxe de 20 % impacte les expéditions de riz étuvé, tandis qu’un prix plancher de 950 USD s’applique sur chaque tonne de riz basmati importée d’Inde. La Rice Exporters Association (TREA) souligne que ces restrictions demeureront en vigueur jusqu’aux prochaines élections législatives prévues entre avril et mai 2024.
Initiatives locales pour pallier à la pénurie de riz
L’option de s’approvisionner auprès d’autres fournisseurs de riz tels que la Thaïlande, le Vietnam ou le Pakistan s’offre également. Cependant, à long terme, cette alternative n’est pas viable, car ces trois pays représentent déjà 30 % des exportations mondiales de riz. Une augmentation significative de la demande pourrait entraîner une hausse des prix du riz et avoir des répercussions sur leur marché intérieur. De plus, ces fournisseurs pourraient être tentés de suivre l’exemple de l’Inde en imposant des restrictions à leurs propres exportations de riz.
Ainsi, les pays africains subsaharienne doivent adopter des solutions plus locales et résilientes, à l’instar du bénin et sa volonté d’augmenter drastiquement sa production de riz. Il est important de noter que parmi les 54 pays du continent, 40 pratiquent la riziculture. Cette activité est la principale source de revenus pour plus de 35 millions de petits agriculteurs du continent. Malgré cela, la production locale ne parvient à couvrir que près de 60 % de la demande actuelle dans la région subsaharienne. Ce déficit entre la production locale de riz et la demande entraîne des importations annuelles de 14 à 15 Mt, représentant un coût dépassant les 6 milliards USD.
Une autre alternative consiste à diversifier les sources d’approvisionnement en accroissant l’achat de céréales telles que le blé, le maïs, l’orge ou le sorgho. Toutefois, il est essentiel de noter que cette démarche implique un changement significatif dans les habitudes alimentaires de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest et de Madagascar. Ce changement risque malheureusement de compromettre la croissance économique en exacerbant les niveaux de pauvreté.
Mesures prises par les organisations internationales pour soutenir la riziculture
Diverses initiatives ont déjà amélioré le rendement et la gestion de la riziculture dans plusieurs pays africains. Un exemple notable est l’introduction des variétés de riz NERICA, élaborées par AfricaRice. Ce programme a conduit à la sortie de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire pour 8 millions de personnes réparties dans 16 pays du continent. Les semences NERICA ont augmenté de 23 % le rendement, marquant ainsi un succès indéniable dans le domaine.
L’intégration de la technologie Smart-valleys en Afrique de l’Ouest présente aussi des avantages significatifs et des avancées agricoles en Afrique. Développée par AfricaRice, cette approche offre aux agriculteurs la possibilité d’accroître leur rendement de 0,9 tonne par hectare (t/ha) et un revenu net de 267 USD/ha. Le score de la consommation alimentaire souligne que cette innovation a permis aux femmes de contribuer davantage à renforcer la sécurité alimentaire par rapport aux hommes.
D’autres applications de ce type développées par AfricaRice ont également apporté des avantages spécifiques à plusieurs pays africains :
- Au Nigeria, RiceAdvice a amélioré le rendement rizicole d’environ 0,55 t/ha et une rentabilité accrue d’environ 250 USD par hectare.
- Au Bénin, la technologie de parbouillage du riz GEM a permis aux utilisateurs de réaliser un bénéfice notable de 392 USD/t de riz bouilli.
- En Côte d’Ivoire, la variété de riz de basse terre, WITA 9, a démontré un rendement de 0,7 t/ha et une augmentation substantielle du revenu de 91 USD/ha/saison.
Perspectives d’avenir : vers une indépendance alimentaire de l’Afrique
La filière rizicole émerge comme une solution potentielle à la pauvreté en Afrique. La disponibilité et les prix du riz constituent des facteurs majeurs du bien-être de nombreux africains, notamment les plus démunis. La croissante prépondérance du riz dans le régime alimentaire des consommateurs africains en fait une composante politique. Ce secteur est capable d’exercer une grande influence sur la stabilité politique, sociale et économique des nations du continent.
L’Afrique subsaharienne dispose des ressources humaines, physiques et économiques requises pour atteindre l’autosuffisance alimentaire, en produisant durablement du riz de qualité supérieure. De plus, ce secteur a le potentiel de créer des emplois pour 17 millions de jeunes chaque année.
Il convient de noter que la riziculture repose principalement sur les femmes dans les écosystèmes fluviaux africains. Les agricultrices effectuent la majorité des étapes de la culture du riz, de la semence au désherbage en passant par la récolte, la transformation et la commercialisation. Ce constat met en lumière le rôle central des femmes dans le développement et la pérennité de cette filière agricole.