L’Afrique dispose d’une abondance de ressources essentielles à la transition énergétique verte. Toutefois, le continent doit pouvoir développer ses propres industries nationales.
Minéraux essentiels : Négocier des accords commerciaux équitables
Dans le cadre du Partenariat pour la sécurité des minéraux (MSP), un groupe de 14 pays et l’Union européenne (UE) unissent leurs forces pour financer le projet Kabanga Nickel en Tanzanie, l’un des plus grands gisements de nickel inexploités au monde. Alors que les nations s’efforcent de sécuriser les minéraux essentiels nécessaires aux technologies énergétiques propres comme les véhicules électriques, les batteries et les systèmes d’énergie renouvelable, les vastes ressources de l’Afrique sont mises en lumière. Cependant, si ces partenariats promettent des investissements, ils suscitent également des inquiétudes quant à savoir à qui bénéficie réellement des richesses minérales de l’Afrique.
Les membres du MSP sont les États-Unis, l’Australie, le Canada, la Finlande, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Italie, le Japon, la République de Corée, la Norvège, la Suède, le Royaume-Uni et l’UE. Aucun pays africain ne fait partie du groupe, ce qui est alarmant. On craint que les riches gisements de minéraux critiques de l’Afrique ne conduisent à une nouvelle vague d’exploitation du continent et à un néocolonialisme vert.
Des pays comme la Tanzanie, l’Afrique du Sud et la République démocratique du Congo détiennent une grande part des réserves mondiales de cobalt, de manganèse et de nickel. On craint de plus en plus que des partenariats inégaux puissent alimenter les dommages environnementaux et creuser les inégalités économiques. Il faut des accords commerciaux équitables, des avantages locaux et une rupture avec les modèles historiques d’extraction, où les puissances extérieures tirent profit tandis que les communautés africaines supportent le poids des coûts.
Le pouvoir réglementaire de l’UE
L’UE détient un pouvoir réglementaire considérable, qui lui permet de façonner les règles économiques mondiales que les pays, y compris ceux d’Afrique, doivent suivre. Par le biais de politiques telles que le Plan industriel vert, le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) et la loi sur les minéraux critiques, l’UE exerce une influence sur la manière dont les pays africains peuvent participer au commerce mondial, en particulier dans les industries vertes.
Si ces politiques visent à promouvoir la durabilité, elles créent par inadvertance des obstacles importants pour les pays africains qui cherchent à s’industrialiser de manière verte et à s’intégrer dans l’économie mondiale.
CBAM rend plus difficile l’accès au marché de l’UE
Le CBAM impose des droits de douane sur les importations dans l’UE en fonction de leurs émissions de carbone. Cela affecte de manière disproportionnée les exportateurs africains qui peuvent avoir du mal à respecter les normes environnementales strictes de l’UE en raison d’un manque de ressources ou d’infrastructures. L’Afrique du Sud, où le charbon reste une source d’énergie majeure, en est un exemple clé.
Le CBAM pénalise ces pays, leur rendant plus difficile l’accès au marché de l’UE, étouffant ainsi leur potentiel économique. Au lieu d’apporter un soutien pour aider les pays africains à faire la transition vers une énergie plus propre, les politiques de l’UE risquent de renforcer une dynamique commerciale inégale, où les pays africains et d’autres pays en développement se heurtent à des obstacles pour développer leurs propres économies vertes.
La loi sur les minéraux critiques
La loi sur les minéraux critiques met encore davantage en lumière ce problème. Son objectif est d’aider l’UE à garantir un approvisionnement stable en minéraux essentiels. Notamment, le cobalt, qui est essentiel aux technologies énergétiques propres comme les véhicules électriques et le stockage des énergies renouvelables. Cependant, cette loi donne la priorité à l’approvisionnement en matières premières des pays africains et ne favorise guère la création de valeur ou le développement industriel au sein de ces pays.
Des pays comme la République démocratique du Congo (RDC) sont relégués aux premières étapes de la production minière – extraction et exportation de matières premières. Tandis que les processus à plus forte valeur ajoutée comme le raffinage et la fabrication se déroulent ailleurs, principalement en Europe. Cette configuration reflète les structures économiques coloniales, où les matières premières sont extraites d’Afrique et les bénéfices économiques récoltés en Europe. Ce qui renforce la dépendance et empêche les nations africaines de progresser dans la chaîne de valeur.
Ce cadre réglementaire enferme les pays africains dans un cycle dans lequel ils fournissent des ressources essentielles à la transition verte de l’Europe, mais se voient refuser la possibilité de construire des industries locales autour de ces mêmes ressources. Le résultat est une forme moderne de « néocolonialisme vert », où le rôle de l’Afrique dans l’économie verte mondiale se réduit à l’extraction de ressources, ce qui profite aux pays les plus riches tout en limitant ses propres perspectives de développement.
La Chine les mène tous
Les politiques de l’UE et des États-Unis sont généralement considérées comme des réponses au leadership de la Chine dans le secteur des énergies renouvelables. D’ici 2030, la capacité de production d’énergies renouvelables de la Chine devrait égaler celle des États-Unis, de l’UE et de l’Inde réunis. La Chine assure actuellement plus des deux tiers du traitement mondial des minéraux critiques et est devenue le leader mondial des technologies vertes.
L’une des principales raisons du succès de la Chine dans le domaine des énergies renouvelables est sa relation de longue date avec des pays africains comme la Guinée et la RDC. Des pays, où elle a sécurisé ses approvisionnements à long terme en minéraux essentiels. Notamment, la bauxite et le cobalt, qui sont principalement présents dans ces pays. En échange, la Chine a investi massivement dans le développement des infrastructures de l’Afrique et prévoit à court terme de soutenir les projets d’ajout de valeur minérale et d’industrialisation du continent.
L’Afrique pourrait tirer parti de sa relation avec la Chine pour en tirer davantage profit. Mais même ainsi, la relation Afrique-Chine a été l’une des plus avantageuses pour la plupart des nations africaines depuis 2000.
Les États-Unis profitent de leur pouvoir de marché
Les États-Unis exploitent leur puissance commerciale considérable pour obtenir des avantages stratégiques dans la course mondiale aux minéraux critiques. Notamment, par le biais de lois telles que l’Inflation Reduction Act. Cette législation encourage non seulement la production nationale de minéraux critiques, mais aussi la « relocalisation amicale » des chaînes d’approvisionnement, qui impliquent de rapprocher la fabrication et les chaînes d’approvisionnement du pays ou des pays alliés. Cette stratégie vise à réduire la dépendance à l’égard de rivaux géopolitiques comme la Chine, qui domine actuellement le marché mondial des minéraux critiques.
Cette approche peut toutefois être considérée comme une forme de « néocolonialisme vert », car elle renforce les déséquilibres de pouvoir à l’échelle mondiale. En sécurisant leur accès aux minéraux essentiels par des corridors comme le corridor de Lobito en Angola – une voie essentielle pour le transport des minéraux de la République démocratique du Congo (RDC) vers l’océan Atlantique –, les États-Unis contournent les voies commerciales traditionnelles aujourd’hui dominées par la Chine. Ce faisant, les États-Unis assurent non seulement un approvisionnement stable de ces ressources essentielles à leur propre transition verte. Mais, ils écartent également les pays africains des parties les plus lucratives de la chaîne de valeur, telles que le raffinage et la fabrication, qui pourraient stimuler l’industrialisation locale et la croissance économique.
Les États-Unis profitent de leur position sur le marché d’une manière qui reflète les modèles coloniaux traditionnels, où les régions riches en ressources sont exploitées au profit de nations plus puissantes, sans participation équitable ni bénéfices partagés.
Energie africaine : Le facteur X pour équilibrer les influences géopolitiques
L’Afrique dispose d’un immense potentiel de production énergétique. Grâce aux technologies existantes, elle pourrait produire 1 000 fois plus d’énergie que sa demande prévue d’ici 2040, ce qui modifierait radicalement les flux énergétiques mondiaux.
Mais ce potentiel ne pourra être exploité que si le continent est autorisé à développer ses propres industries locales. Le principal défi réside dans la réticence des pays développés à transférer des technologies et à payer leur dette climatique, qui pourrait servir à financer les objectifs d’adaptation de l’Afrique.
L’Afrique a la capacité de subvenir à ses propres besoins énergétiques. Mais cela ne peut se produire que si ses ressources politiques, financières et sociales sont consacrées en priorité au développement d’industries vertes. En s’éloignant du rôle de fournisseur mondial de matières premières et en rachetant à terme les produits finis du Nord et de la Chine.
L’UE, les États-Unis et la Chine, engagés dans cette guerre économique mondiale pour l’industrialisation verte, sont convaincus qu’il doit y avoir des gagnants et des perdants dans ce changement économique fondamental vers les énergies renouvelables. Ils sont déterminés à être les gagnants et ne se soucient pas de savoir qui perd, tant que ce n’est pas eux. Dans ce duel, il semble que l’Afrique soit une fois de plus le perdant.
Cependant, si elle tire les leçons de ses erreurs stratégiques passées, l’Afrique peut entrer dans cette bataille non pas comme un éléphant de plus mais comme un défenseur du climat. Utilisant ses ressources comme outils de négociation pour rappeler au monde qu’aucune puissance mondiale ne possède ou ne contrôle le soleil, le vent et la terre.