Depuis 1997, la Banque Africaine de Développement (BAD) reconnaît l’agriculture comme une priorité stratégique pour devenir un levier de croissance majeur en Afrique. Pour exploiter pleinement ce potentiel, des fonds privés doivent soutenir des projets d’envergure.
Implication de la BAD dans l’agriculture
La BAD a déjà financé plus de 1 161 projets agricoles pour un total de 18,4 milliards USD. Le programme « Nourrir l’Afrique », lancé en 2016, est au cœur de cette stratégie, avec un investissement prévu de 24 milliards USD d’ici 2025. L’objectif est clair : transformer l’agriculture africaine en un secteur commercial compétitif, capable de répondre aux besoins alimentaires du continent et de capter des parts de marché mondiales.
La BAD segmente le continent en zones prioritaires pour certaines cultures :
- blé en Afrique du Nord
- riz en Afrique de l’Ouest
- maïs et le soja dans la Savane de Guinée
- l’horticulture sur l’ensemble du continent.
Cette approche vise à maximiser les rendements en se concentrant sur des filières spécifiques et en développant des infrastructures adaptées.
Pacte agricole Dakar 2
Lors du sommet de Dakar, la BAD lance des pactes agricoles soutenus par l’Union africaine. Ces accords-cadres visent à améliorer les rendements de cultures stratégiques, mentionnent aussi l’extension des terres agricoles et la mécanisation. Cependant, des critiques émergent sur la rédaction approximative de certains documents, le manque de clarté sur les coûts totaux des projets ainsi que la non prise en compte de la biodiversité.
Un des nombreux fonds d’investissement privés soutenu par la BAD, Verod Capital, souligne la difficulté de structurer des projets efficaces avec les petits exploitants. Les grandes entreprises agricoles, plus compétitives, disposent de ressources nécessaires pour moderniser l’agriculture et attirer davantage de financements privés.
Mise en place des SAPZ
La Banque africaine de développement introduit également les zones spéciales de transformation agro-industrielle (SAPZ) pour développer les infrastructures et la logistique nécessaire à des « chaînes de valeur alimentaires et agricoles compétitives ». Cette initiative, inspirée du concept des « agropoles », s’aligne sur la stratégie de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) de l’Union africaine.
Dans la nécessité d’un ajustement du cadre juridique, la Banque octroie des prêts comme levier pour ces adaptations. Par exemple, à Madagascar en 2019, le décaissement du Programme d’application de la compétitivité économique de la BAD a été conditionné à l’adoption d’un décret sur les agropoles, dénoncé par le Collectif TANY.
TAAT : Réduire les importations alimentaires
Lancée en 2017, l’initiative « Technologies pour la transformation de l’agriculture en Afrique » (TAAT) bénéficie de plus de 800 millions USD. Ce programme vise à moderniser l’agriculture africaine et à réduire les importations alimentaires en collaborant avec des multinationales de semences et en introduisant des technologies agricoles innovantes. En 2014, la BAD accorde un prêt de 300 millions USD à Aliko Dangote pour construire une usine d’engrais. Parallèlement, le « Mécanisme africain de financement des engrais » (MAFE) facilite l’accès des petits exploitants aux intrants agricoles, avec des millions de tonnes d’engrais distribuées à travers le continent.
Préoccupations majeures liées aux projets de la BAD
Les investissements de la BAD induisent plusieurs conflits sociaux et environnementaux, affectant les communautés locales. L’institution se trouve impliquée dans plus de 14 conflits en Afrique, selon l’Atlas de justice environnementale. Des mouvements sociaux et des organisations de femmes lancent des campagnes pour dénoncer les impacts de ces projets sur les populations.
Problèmes fonciers et expropriations
Les pactes agricoles incluent souvent des partenariats public-privé, un modèle controversé pour sa tendance à favoriser les grandes multinationales. Par exemple, au Gabon, un partenariat entre le gouvernement et la multinationale Olam a suscité des critiques pour accaparement des terres par des plantations de palmiers à huile. Ce modèle se répète dans d’autres pays, au risque de compromettre la souveraineté alimentaire locale.
Les SAPZ se situent généralement sur des terres communautaires expropriées par l’État et cédées aux investisseurs. Ces Zones impliquent une réorganisation territoriale de grande envergure. Ce type de plantation entraîne des hausses des prix fonciers, de la spéculation, des expulsions, mais aussi des risques d’endettement et de perte de terres.
Enjeux sociaux et environnementaux
L’expansion des SAPZ menace directement l’agriculture paysanne, pourtant responsable de 80 % de la nourriture consommée en Afrique. Les petits exploitants pastoralistes utilisent des technologies adaptées et des circuits courts pour répondre aux besoins locaux tout en préservant les écosystèmes. Toutefois, au lieu d’être soutenu, ce modèle est marginalisé par les politiques de la BAD qui favorisent l’agrobusiness.
En outre, les partenariats avec des entreprises comme Syngenta et Bayer suscitent des critiques. Les associations locales dénoncent les effets néfastes de ces collaborations sur la souveraineté alimentaire. L’utilisation d’engrais chimiques et de pesticides, soutenue par la BAD, contribue à la dégradation des sols et à la pollution de l’environnement. La collaboration enrichit une poignée de multinationales, mais est moins bénéfique pour les paysans.
Impact sur la dette publique
L’impact de ces financements sur l’endettement des pays africains demeure une préoccupation majeure. Les intérêts peuvent aggraver la dette publique qui est déjà insoutenable pour de nombreuses économies en développement. Rien qu’en 2022, les intérêts de la dette africaine atteignent 44 milliards USD alors que les coûts et les profits découlant des financements sont pour la plupart ambigus.
L’agro-industrialisation promue par la BAD, bien que prometteuse pour la productivité, pourrait accentuer la dépendance vis-à-vis des multinationales. À long terme, la souveraineté alimentaire pourrait être compromise. La durabilité et l’inclusivité de ces initiatives agricoles restent à prouver. Les prochaines années détermineront si cette stratégie peut vraiment transformer l’agriculture africaine.